Culture,  Portrait

Musique : avec Eiskeller, Rover brise la glace

Eiskeller, c’est le nom du nouvel album de Rover. « Eiskeller », ça veut aussi dire glacière. C’est en effet dans une ancienne glacière de Bruxelles que Rover s’est cloîtré pendant plus d’un an pour composer cet album. L’artiste, disque d’or dès son premier disque en 2013, a su puiser en lui pour donner vie à ce troisième album imprégné de pop-rock et de mélancolie. 

Rover

On vous revoit enfin en tournée. C’est une libération ?

Quelle drôle de saveur. Quelle drôle de sensation, de repartir sur les routes un peu normalement. Ça décuple vraiment tout.

C’est intense ?

C’est très intense au point que c’est très fatigant. On est moins blasé, c’est un peu comme une rentrée des classes permanente. On est en fait dans un rapport à l’émotionnel, il y a un sentiment de fête. Dans la salle, tout le monde a pris un petit peu conscience que ce n’est pas que du divertissement, ce sont aussi des moments d’énergie et de partage.

On parle de confinement, mais il y a aussi le confinement volontaire qui vous a conduit à travailler seul dans cet endroit, cette glacière qui donne son titre à l’album…

Je suis un drôle de gars, je me rends compte après coup que je fais des choix bizarres, que je n’arrive pas forcément à m’expliquer. Ce qui est sûr, c’est que j’ai besoin d’un contexte plus fort que moi, plus violent et pas forcément confortable. Le fait de se sentir vivant dans un lieu grand, intimidant, qui déroute physiquement avec sa température et son aspect industriel, m’a forcé à développer ma propre chaleur dans cette grande pièce. La musique, c’est tout ce que j’avais pour me divertir et m’occuper, au-delà d’avoir la mission de faire un disque et le faire sérieusement. Je n’avais ni Internet, ni téléphone, ni eau courante.

Vous avez mis plus d’un an pour créer cet album. C’est un luxe ?

Au début, c’était le luxe d’avoir du temps. C’est quatorze mois de création, plus que ce que j’avais imaginé. J’avais prévu d’y rester quatre mois, mais ça m’a pris six mois pour comprendre pourquoi je m’étais installé là, pour comprendre la pièce, le son. Le défi était immense. Il était plus grand que ce que je pensais. Ce que j’entendais chez moi au piano ou tout seul dans la rue en marchant, une fois en arrivant dans cette pièce, ça n’avait pas la même résonance. 

Il fallait séduire cette pièce-là  ?

C’est exactement ça. Je devais la séduire, passer l’épreuve qu’elle m’imposait. Venir quotidiennement, c’était vraiment comme aller voir un cheval sauvage tous les jours et à un moment, il vous donne sa confiance. Je me suis attaché. C’est un luxe incroyable, on n’a jamais le temps d’aller aussi loin en studio. On est toujours contraint de convoquer la magie le lundi, parce que le mardi, on passe à une autre chanson. Des fois, c’est bien, mais là, j’avais besoin que le quotidien m’inspire. Le temps a inspiré ce disque, aussi.

De toute façon, Rover, c’est solo…

Oui, je pense que c’est tout l’intérêt du projet. C’est cette espèce d’expérience de navigateur qui traverse plusieurs mers. Chaque album est une mer différente.

Au-delà du moment hors du temps de la création, votre musique sonne aussi intemporelle, pas datée…

Ce sont vraiment des choix conscients ou inconscients de ne pas être dans la course. Je ne supporte pas d’être à la mode, dans un mouvement artistique. Je trouve que ça vieillit très vite. Les disques que je préfère n’étaient presque pas adaptés à leur période. Quand le Melody Nelson de Serge Gainsbourg sort, il n’est pas compris. Les Beatles, c’est autre chose : ils ont eu du succès, mais ils ont dicté une nouvelle voie. Ils ont été précurseurs en plein de choses. Moi, j’aime surtout assumer les choses que j’aime. Je ne révolutionne rien. Peut-être que créer la nouveauté, c’est aussi savoir rendre hommage au passé, ajouter une pierre à l’édifice.

Vous dites que vous n’aimez pas la « pop sucrée ». Ce n’est pas vous ?

Je ne suis pas à l’aise avec ça. J’aime les choses plus granitiques, quand ça frotte un peu. Plus brutes, moins polies, affinées. Même les objets, je les aime comme ça. J’aime les tables où il y a des échardes. Ma musique doit ressembler un petit peu à ça. Mon grand défi, c’est d’en mettre de moins en moins, mais c’est très dur. C’est aussi ce que j’essaye de faire sur scène, c’est pour ça qu’on est que deux.

Tout est donc vrai dans votre musique ? 

On dispose tous des mêmes outils pour faire de la musique, tout le monde utilise un ordinateur. Je ne suis pas contre, mais ça laisse une « patte » et un son similaire chez tout le monde. Aux États-Unis, en Australie ou en France, tout le monde a les mêmes références, donc je m’interdis d’utiliser cet outil-là. En tout cas, les instruments logiciels, parce que c’est assez effrayant. On « Instagramise » la musique. Rien ne vaut un vrai instrument avec un micro dans une pièce qui offre son acoustique.

Mais il faut savoir jouer de la musique…

Eh oui, moi ça m’a pris des années, j’ai commencé tout seul à sept ans. Pendant que les autres allaient jouer et faire du skate, j’apprenais la musique. Il faut faire ses armes ! C’est une patience qu’on n’a plus aujourd’hui. Déjà, les gens n’ont plus la patience d’écouter tout un disque, il faut des singles. Ils passent de Kanye West à Rover. Pour moi, ça va trop vite. Je suis certainement trop vieux pour tout ça (rires).

La notion d’album est importante pour vous. Parce que vous racontez toute une histoire ? 

Je ne fais pas des disques pour divertir. Le but, c’est de raconter quelque chose. C’est d’offrir une intimité que je ne peux pas offrir dans la vraie vie, parce qu’il y a une distance sociale. La musique me le permet. C’est assez inconcevable de faire des disques autrement.