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Maltraitance infantile : toujours un tabou ?

C’est lors d’un stage en 2e année de master en épidémiologie que Flora Blangis travaille sur la maltraitance physique infantile. Quatre ans plus tard et armée d’une thèse sur le sujet, ses travaux lui permettent d’élaborer des stratégies pour la protection des enfants, mais aussi de remporter le prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science.

L’épidémiologie, c’est, selon le dictionnaire Larousse, la « science qui étudie, au sein de populations (humaines, animales, voire végétales), la fréquence et la répartition des problèmes de santé dans le temps et dans l’espace, ainsi que le rôle des facteurs qui les déterminent ». Un travail au long cours auquel Flora Blangis s’est attelée. Car on croit tout savoir sur la maltraitance physique infantile ; on pense que les données sont connues et qu’elles permettent de prévenir ces maltraitances. Pourtant, les recherches en épidémiologie sur le sujet manquent. « J’avais très peu de données pour ma thèse. Je me suis donc appuyée sur les dossiers médicaux du CHU de Nantes. »

Deux fois plus de bébés secoués

La jeune femme, sage-femme de formation, a notamment évalué les parcours de soins des jeunes patients et deux points sont ressortis. « Un tiers des enfants de moins de six ans inclus dans l’étude et hospitalisés pour une maltraitance physique infantile sévère avaient un parcours de soins jugé comme suboptimal, c’est-à-dire qu’il y a eu un retard de diagnostic. Dans certains cas, il y avait déjà eu un diagnostic de maltraitance soit sur l’enfant en question, soit sur un membre de la fratrie », détaille la chercheuse. Ses recherches l’ont également poussée à Necker où elle a constaté en 2021 le doublement du nombre de bébés secoués en Île-de-France par rapport à la période prépandémique. « Si jamais une autre épidémie de l’ampleur de la covid devait survenir, nous saurions qu’il faudrait être particulièrement attentifs à la prévention. »

Des unités pluridisciplinaires au service des enfants

Ces données ont permis d’alerter le gouvernement et d’oeuvrer pour la création de davantage d’Unités d’accueil pédiatriques des enfants en danger (UAPED). Menées par une équipe pluridisciplinaire, composées entre autres de pédiatres, psychologues, pédopsychiatres, puéricultrices, assistante sociales, etc., les UAPED accueillent et mettent en place des soins adaptés et globaux pour les enfants victimes de maltraitance. Le plan de lutte contre les violences faites aux enfants (2020-2022), lancé en novembre 2019 par le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, Adrien Taquet, doit permettre le déploiement des UAPED. En 2023, quatre vingt huit de ces unités sont déployées et vingt-sept autres sont en projet. Très impliquée dans son sujet, Flora Blangis a également participé à la constitution du réseau de recherche régional francilien sur les violences faites aux enfants. La scientifique ne compte pas s’arrêter là et entend préparer un post-doc à Londres. « Je vais travailler sur les conséquences de la maltraitance physique infantile sur la santé mentale des adolescents et adultes. » Et donc certainement développer de nouvelles stratégies de prévention et de protection.

« Le monde de la recherche est accessible aux femmes et aux sages-femmes »

Sage-femme de formation, Flora Blangis a travaillé au CHU de Nantes. « Je constatais que les pratiques évoluaient dans mon métier et je voulais moi aussi contribuer à améliorer ces pratiques. » Elle se lance alors dans un master d’épidémiologie, « le seul alors ouvert aux professionnels en poste », et a soutenu sa thèse en 2023. Aujourd’hui, Flora Blangis veut « prouver que le monde de la recherche est accessible aux femmes et aux sages-femmes ». Elle ajoute : « J’ai rencontré tellement de femmes scientifiques incroyables à la remise de ce prix. Cela me donne de l’espoir pour les générations futures. » Elle espère également que « le champ de la recherche pourra être élargi notamment par l’étude de problématiques spécifiques aux femmes, des sujets qui sont souvent négligés ».

Aujourd’hui en France, les femmes sont encore trop peu présentes dans la recherche scientifique : elles ne représentent que 29 %(1) des chercheurs, contre 33,3 % au niveau mondial(2). En outre, elles rencontrent des difficultés à poursuivre leur carrière scientifique et accéder à la reconnaissance qu’elles méritent. En Europe par exemple, seulement un quart(3) des hautes fonctions académiques sont occupées par des femmes, et moins de 4 % des prix Nobel scientifiques ont été décernés à des femmes dans le monde.

Cette année, vingt doctorantes et quinze post-doctorantes ont été sélectionnées pour le prix Jeunes Talents L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science, parmi six cent dix-huit candidatures éligibles. Les scientifiques lauréates vont se voir attribuer une dotation de 15 000 euros pour les doctorantes et de 20 000 euros pour les postdoctorantes, qui les aidera à poursuivre leurs travaux de recherche. Elles vont également bénéficier de formations au leadership (notamment en développement personnel, négociation, communication et prise de parole en public), visant à leur donner des moyens supplémentaires pour affronter le « plafond de verre » et mieux valoriser leurs recherches scientifiques.