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Au 21 : changer de regard sur la mode

Hervé Bourguin a créé Au 21, à Thouaré-sur-Loire, en décembre 2020. Une boutique de marques de vêtements et accessoires femmes et hommes éthiques et écoresponsables. Un virage important pour celui qui a été pendant vingt-cinq ans spécialiste des achats de très grands groupes français de textile. Cela lui permet d’avoir aujourd’hui un regard éclairé sur la mode et ses travers. Rencontre.

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Vous avez longtemps été au coeur du réacteur de la vente de masse de produits textiles. Qu’est-ce qui vous a fait basculer ?

Je pense que le déclencheur a eu lieu en Chine, un matin. Je me suis levé et je n’ai pas vu le soleil : à cause de la pollution, il était totalement caché. Cela n’a pas été une évidence sur le moment, mais je crois que c’est vraiment ce qui m’a poussé à changer mon regard sur cette industrie.

Vous avez voulu changer totalement de milieu ?

Effectivement. Lors d’un séminaire organisé par l’Apec pour les personnes souhaitant se reconvertir, j’ai affirmé que je voulais tout faire sauf du textile. Ils m’ont totalement fait changer d’idée. J’avais développé une expertise et celle-ci pouvait être mise au service d’un autre moyen de consommer du textile.

Expliquez-vous cette démarche à vos clients ?

J’ai la prétention de savoir à peu près de quoi je parle en matière d’habillement. Ce qui est intéressant, ici, c’est que j’ai pu recréer du contact avec le client. Faire de la proximité. Je suis capable d’expliquer où est fait le produit, comment il est fait et pourquoi.

La fabrication, cela vous parle ?

J’ai un cursus quasi-complet de centrale d’achats. J’ai été gestionnaire, acheteur, chef de produit, chef de groupe de toute la partie commerciale du sport pour une grande marque. Je sais comment on construit un vêtement. J’ai un profil plutôt marketing, mais quand j’étais dans mes anciens postes, je n’avais aucun problème pour discuter avec les ingénieurs textile quand je faisais le tour du monde pour acheter.

Vous avez donc une véritable notion de la manière dont se construit le prix d’un vêtement.

Il y a, bien sûr, la qualité du produit. Mais il faut aussi regarder comment c’est fait, dans quelles conditions. Les Ouïghours et le travail contraint, cela existe encore. Il y a aussi la manière dont le respect de l’environnement est pris en compte ou non. Le textile peut être facteur de déforestation, de dégradation de la qualité des eaux puisque les eaux usées ne sont parfois pas traitées… Et on sait aujourd’hui que l’impact de la production textile sur l’environnement est majeur.

Le prix d’un vêtement tient-il compte de tous ces éléments ?

Dans le prix, on retrouve l’état des normes, sociales et environnementales, qui sont pratiquées dans les différents pays. Quand on est en France et qu’on revend un produit fabriqué sur le territoire avec un coefficient 2, soit deux fois le prix d’achat, on est content. Un produit fabriqué en Asie, on peut le revendre à coefficient 3 ou 3,5 sans problème. C’est pour cela que je ne joue pas trop là-dessus. Je parle davantage de qualité des produits et de rapport qualité-prix que de prix tout court.

Comment fonctionnez-vous pour choisir les marques avec lesquelles vous travaillez ?

Avant de référencer une marque, je discute pour savoir comment elle fonctionne. Par exemple, la viscose que je propose est produite de manière responsable dans les Deux-Sèvres. Je privilégie des matériaux naturels et recyclés issus d’une zone de fabrication européenne au maximum. 80% des produits sont réalisés en France dans ce cadre-là.

La clientèle est-elle sensible à cette démarche ?

Je pense que les gens y sont sensibles, mais entre le déclaratif et le passage à l’acte, il y a une marge. Néanmoins, le côté qualitatif entre en ligne de compte aujourd’hui et on sent que les gens en ont un peu soupé de ne pas recevoir des marchandises restées coincées dans des containers.

Les produits que vous proposez sont-ils plus durables ?

Mes clients me disent tous : « On achète un pull pour 10 ans ». Ce n’est pas un hasard, même si ce n’est qu’un exemple. Nous prônons les matériaux naturels, sans acrylique. La laine vierge, par exemple, a des propriétés qui font sa durabilité. Nous passons pas mal de temps à expliquer cela et à sensibiliser les clients.

Cette approche s’accompagne-t-elle d’un encouragement à utiliser des matériaux recyclés ?

Oui : nous travaillons par exemple avec une marque de t-shirts qui fabrique ses pièces avec du coton bio et du plastique recyclé. Il y a aussi cette marque de maroquinerie qui rachète les surstocks des maisons de luxe et qui fait des ceintures, des sacs avec des niveaux de finition juste extraordinaires pour des cuirs qui partaient à la benne… Quand on parle de développement durable, c’est aussi cela.

Dans cette démarche globale, pratiquez-vous les soldes ?

Nous partons du principe, acté avec la quasi-totalité des acteurs, que les prix pratiqués sont des vrais prix. Cela veut dire qu’ils sont calculés de manière juste et équitable pour rémunérer tout le monde. Il n’y a donc aucune raison de pratiquer des rabais sur des produits conçus pour être durables. Ceci étant dit, j’ai testé les soldes et cela n’intéresse pas mes clients. Cela ne nous empêche pas, évidemment, de faire du déstockage quand nous en avons besoin. Mais, philosophiquement, ce n’est pas la même chose.

Quels sont les matériaux d’avenir, selon vous ?

Sans hésiter, les matériaux naturels : la laine ou le lin, selon les saisons. Pour le coton bio, je suis un peu plus réticent. Il faut voir la façon dont il est fait. Le coton peut avoir un impact plus important que le lin sur l’environnement. D’autre part, je pense que les matériaux recyclés ont toute leur place. Je suis surfeur et j’en ai ras-le-bol de surfer au milieu des plastiques.

On voit, justement, que la culture du lin revient en force en France. Est-ce une bonne nouvelle ?

Oui, je le pense. Dans la culture du lin, il n’y a ni pesticides ni irrigation. Cela limite au maximum l’impact carbone de cette matière. De plus, cela nous permet de remettre au goût du jour un savoir-faire qui a failli disparaître.

Peut-on s’habiller 100% français aujourd’hui ?

Évidemment, comparé à il y a quelques décennies, la production française s’est raréfiée. Mais quand on regarde d’un peu plus près, on peut être surpris par les capacités de production. L’air de rien, on peut s’habiller français sans trop de problème, et je ne pensais pas moi-même qu’il y avait autant d’acteurs. On peut par exemple acheter un jean français, fabriqué à Nancy, en coton élasthanne. Ils travaillent en plus sur de grandes longueurs au niveau des jambes, ce qui fait que l’on peut avoir un jean quasiment sur-mesure et 100 % français, et pas plus cher qu’un jean de grande marque.

Au 21

2 rue des Ponts, Thouaré-sur-Loire

02 28 22 53 48

www.au21.eu