Jean Blaise : L’art dans la ville
La ville renversée par l’art. C’est la phrase qui signe le Voyage à Nantes. C’est aussi, peut-être, ce qui résume le mieux les presque quarante ans de travail de Jean-Blaise dans l’agglomération nantaise. Le créateur du festival Les Allumées, l’emblématique directeur du Lieu Unique et l’actuel directeur du Voyage à Nantes quitte ses fonctions à la fin de l’année. Rencontre.
Pourquoi avez-vous décidé de quitter la tête du Voyage à Nantes ?
C’était l’heure. J’ai soixante-treize ans, et quand on a cet âge-là on commence à penser au temps qu’il nous reste. J’ai eu une vie très, très heureuse et j’ai envie de continuer à en profiter. Je pense aussi qu’il faut laisser la place. La société est en train de se transformer considérablement. Ma génération commence à être larguée.
Ça veut dire quoi « larguée » ?
Je déteste les réseaux sociaux, mais tout se passe là-dessus. Le mieux est de se retirer, et de continuer à être actif. Je vais me cantonner à une direction artistique. Ce qui est lourd, au Voyage à Nantes, c’est que ce sont des sites très différents les uns des autres, les Machines, le château, le mémorial de l’esclavage… Ce sont trois cent cinquante personnes qui travaillent, ce n’est pas rien !
Vous laissez une empreinte dans l’imaginaire de la ville, mais aussi dans la ville même…
Je suis très fier de ce que l’on a fait. J’ai été très, très assisté. Mais en même temps, tout cela est très spécifique à Nantes. C’est le fruit d’une histoire qui commence quand même en 1985. Il y a une continuité qui n’apparaît pas d’une évidence totale, mais qui est réelle. Quand je crée le festival à Saint-Herblain, je fais venir Decouflé, Zingaro, Royal de Luxe, alors que Nantes ne fait rien du tout. Le public se déplace et vient voir.
Vous avez fait partie du renouveau de Nantes ?
Quand Jean-Marc Ayrault – alors maire de Saint-Herblain – se présente à Nantes, il est élu. Ce qu’on constate c’est que cette ville s’est éteinte et pas seulement du fait de son orientation politique. Elle a perdu la Loire. Le centre-ville qui a été en grande partie détruit par les bombardements de 1943 est organisé pour laisser passer les voitures. Nous n’avons pas un patrimoine extraordinaire comme à Bordeaux et l’industrie est partie.
Le pari est donc de s’appuyer sur la culture ?
Vous savez, jusqu’en 1982, on construisait des bateaux au milieu de la ville. Quand le chantier a fermé, Nantes a perdu une partie de son identité, de sa force et de son caractère. Jean-Marc Ayrault décide de redonner une image à cette ville en attendant de la voir reconstruite. Ce sera une image de création artistique forte, d’imaginaire fort. On favorise tout ce qui va bouger la ville de cette manière.
Ça se concrétise comment ?
Ce sont, par exemple, Les Allumées, ce moment que nous avons créé en neuf mois. Il y a eu aussi le Lieu Unique, imaginé dans l’ancienne usine LU. Et puis Estuaire – un projet de territoire présenté le long de trois éditions – qui a relié les territoires de Nantes et de Saint-Nazaire et laissé de nombreuses œuvres pérennes.
Il y a ensuite eu des créations qui ont parlé aux gens bien au-delà de Nantes…
En 2007, c’est la création des Machines et la réouverture du château des ducs. On commence à voir arriver un tourisme d’agrément. Il faut se rappeler qu’auparavant, l’été, il n’y avait pas un chat et que les bars étaient fermés. Les gens viennent voir ça, cette proposition culturelle et artistique forte.
En 2010, le Voyage à Nantes est créé, il rassemble tous les grands sites culturels de la ville ainsi que le tourisme. C’est du jamais vu ?
C’est une première en France. C’est vraiment original. Ça dit une politique claire, et ce n’est pas un hasard. Depuis Saint-Herblain, on ne fait pas les choses par hasard… Aujourd’hui, on a eu 100 % d’augmentation de tourisme en dix ans. On entend parler espagnol, anglais, allemand dans les rues et la proposition culturelle nantaise est largement reconnue.
Le Voyage à Nantes a-t-il contribué à changer le paysage de la ville ?
Les touristes qui viennent à Nantes, aujourd’hui, veulent ça, cette espèce de curiosité, de surprise, de décalage qui vous fait vous interroger sur vous-même. C’est ça qui est fort.
Quel est, selon vous, le symbole de cette ville renversée par l’art ?
Je pense que la statue Éloge du pas de côté, place du Bouffay, raconte bien tout ce qui s’est joué. Sur cette place historique de la ville, pour moi, il était hors de question de créer une œuvre, comme celle-là, de manière pérenne. C’est pour ça que nous l’avons réalisée en résine. Mais l’adhésion des Nantais a été telle que nous sommes allés voir Johanna Rolland qui a donné son accord pour que nous pérennisions cette œuvre. Nous l’avons recréée en bronze et elle est là pour au moins un siècle et demi.
Que nous dit cette statue avec un homme, le pied dans le vide, selon vous ?
Elle dit vraiment la théorie du Voyage à Nantes, elle dit ce qu’on fait quand on réussit à créer dans l’espace public un lieu qui touche tout le monde. Aujourd’hui, il n’est pas possible de sortir de chez soi à Nantes et de ne pas tomber sur une œuvre.
Est-ce qu’il y a toujours autant d’ambitions aujourd’hui ? C’est la question qu’on peut se poser avec l’abandon du projet d’Arbre aux Hérons, non ?
L’Arbre aux Hérons, c’est un bon exemple. Pour moi ce n’est pas ce qu’on fait de mieux. J’imagine l’art dans l’espace public sans barrière, j’aurais mille fois préféré que les bestioles, minuscules ou énormes, se retrouvent dans la ville, se baladent sur le parc des Chantiers comme l’Éléphant ou Long Ma. C’est gratuit, c’est libre, c’est étrange, et ça accentue le surréalisme de la ville.
Quels sont les projets forts pour demain ?
Le futur musée Jules Verne, avec l’architecture qui est envisagée, sera un lieu extraordinaire à condition qu’il y ait à sa tête une personne dotée d’une vision. C’est un projet génial. Un budget énorme est consacré à cette nouveauté culturelle et pour moi c’est très fort. Je ne suis pas inquiet. La société est en train de changer, les gosses pensent plus à la planète qu’à la culture, mais ça ne veut rien dire. Il faudra bien des créations pour faire valoir et mettre en avant ces problématiques.