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Et si on changeait de vie ?

Tout plaquer, mais pour aller où ? Et surtout, pour quoi faire ? Changer de vie, ce n’est pas forcément synonyme de déménager. C’est aussi changer de cadre de travail ou de travail tout court. Une décision pas simple, mais pas si difficile que cela à mettre en œuvre. Si on est bien accompagné. Et surtout, quand on sait ce qu’on veut.

Les mots qui cachent les maux

Sept Français sur dix pensent à changer de vie*. Une envie le plus souvent liée à l’environnement professionnel. Aujourd’hui, on entend de plus en plus employer des termes qui sont  avant tout des pathologies : le burn-out, le bore-out, le brown-out. Encore faut-il exactement comprendre de quoi on parle. Petit lexique : 

Burn-out. C’est l’épuisement professionnel, en bon français. C’est la pathologie la plus connue, qui se caractérise par un état de fatigue ou d’épuisement physique ou psychologique lié à une surcharge de travail réelle ou perçue. Il entraîne une fatigue intense, sans possibilité de récupération et finit par prendre le pas sur la vie personnelle.

Bore-out. C’est l’inverse du burn out : un épuisement professionnel dû à une activité faible. Un ennui profond causé par le sentiment d’être sous-utilisé conduit à un épuisement profond, qui peut mener jusqu’à la dépression. 

Brown-out. Il est lié à la perte de sens. On continue à avancer, mais on ne sait pas pourquoi parce qu’on considère que les taches confiées sont sans intérêt. C’est le syndrome le plus difficile à déceler. 

* Sondage OpinionWay réalisé sur un échantillon de 1041 personnes

Une crise nommée Covid

Après deux ans de crise sanitaire liée au Covid, 41% des salariés sont en détresse psychologique, dont 13% en détresse psychologique élevée, selon une étude réalisée par OpinionWay auprès de 2 000 personnes pour le cabinet Empreinte Humaine* et dévoilée en février. Trois populations sont particulièrement touchées par cette détresse psychologique : les femmes (47,5%), les jeunes de moins de 29 ans (54%) et les managers (33%). Aujourd’hui, six millions de salariés sont en burn-out en France, dont deux millions et demi en burn-out sévère. C’est 2,7 fois plus qu’en mai 2020. 

Résultat : si la situation s’améliore légèrement avec le retour au bureau, c’est encore loin d’être la panacée. « Ces chiffres sont riches d’enseignements car ils expriment un vrai changement du rapport au travail et des priorités des salariés français. Ils sont épuisés par ces mois de crise, par les confinements suivis des déconfinements, et aspirent à changer en particulier pour préserver leur santé mentale au travail, pointent Christophe NGuyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine, et Jean-Pierre Brun, co-fondateur d’Empreinte Humaine et expert-conseil. Mais au-delà, cela démontre un changement de rapport au travail et pose une question de fond : celle du sens du travail. »

Si le retour au bureau a permis une légère amélioration de la santé psychologique des salariés, elle a en effet nettement changé les équilibres et les hiérarchies des valeurs en provoquant des prises de conscience. 69% des salariés apprécient mieux la valeur de la vie, 60% sont plus enclins à changer ce qui doit l’être, 47% ont donné une nouvelle orientation à leur vie. Nouveaux choix de vie, déménagement, plus forte exigence de bien-être psychologique… Tout contribue à de nouvelles velléités professionnelles : 16% des sondés déclarent avoir quitté leur entreprise par choix depuis le début de la crise. Ils sont 31% à souhaiter activement rechercher un autre emploi une fois qu’elle sera derrière nous.

* Cabinet spécialisé en qualité de vie au travail et prévention des risques psychosociaux

« Les gens viennent chercher du sens »

Qui sont les candidates et les candidats au changement de vie, quelles sont leurs envies et surtout, quelles sont les clés pour réussir sa reconversion ? Réponse avec Laurence Bichon, responsable de l’accompagnement des parcours à l’AFPA* de Saint-Herblain et Saint-Nazaire.

Constatez-vous un afflux de personnes qui cherchent à changer totalement d’orientation professionnelle ?

Absolument. C’est un phénomène qui existe depuis longtemps, mais qui s’est accentué dernièrement dans le cadre de la pandémie et des confinements. Nous avons rencontré des gens qui nous disent : « Je saute le pas ». Ils viennent naturellement vers nous parce que nous disposons d’une palette de formations à des métiers accessibles après des formations relativement courtes, conçues pour les adultes. Un CAP peut se faire en sept mois au lieu de trois ans. 

Qu’est-ce qui motive ces candidats à la reconversion ?

Les confinements leur ont offert un temps de réflexion. Une réflexion sur le sens que l’on donne à sa vie et à ses valeurs, au travail et à ses contraintes. Beaucoup découvrent qu’il y a autre chose que ce qu’ils appellent la « course infernale à la réussite professionnelle ». 

Ce sont vraiment des changements de vie radicaux ? 

J’ai en tête les exemples d’un cadre commercial venu de Paris et devenu plombier chauffagiste, un éducateur de rue reconverti dans la chaudronnerie et qui travaille aujourd’hui pour le port de Nantes-Saint-Nazaire, ou encore de cette graphiste devenue métallière. 

Ce qui attire, ce sont les métiers dits manuels ?

Les personnes qui viennent nous voir exercent souvent des métiers dans la grande distribution, le service à la personne ou dans le secteur tertiaire. Ils ont des métiers exigeants, difficiles, avec des contraintes importantes. Ils se dirigent vers des métiers manuels, concrets, certes difficiles mais où, à la fin de ses heures de production, on voit le résultat de son travail. Pour eux, cela a davantage de sens que remplir un tableau Excel ou effectuer des relevés d’heures de présence dans l’entreprise. C’est ce que les gens viennent chercher. 

Quels conseils pouvez-vous donner à celles et ceux qui envisagent de changer d’orientation professionnelle ?

Il ne faut pas foncer tête baissée. Il faut d’abord travailler son projet. Être sûr de là où on va. Ceux qui ont rapidement pris un virage pendant la crise sanitaire avaient déjà, pour beaucoup, engagé une réflexion. D’ailleurs les financeurs, ceux qui vont payer les formations, demandent à ce que les projets soient « validés ». C’est-à-dire qu’il y ait un vrai travail du candidat autour de son futur métier. Ensuite, il faut choisir des formations qualifiantes, plutôt que certifiantes. Des formations reconnues qui ont une valeur sur le marché du travail. 

Est-il possible de se faire accompagner ?  

Beaucoup de dispositifs existent, mais souvent, malheureusement, les gens ne connaissent pas leurs droits. Ils font une rupture conventionnelle ou démissionnent, alors qu’ils pourraient utiliser le droit à la transition professionnelle. Il y a une frilosité à demander à son employeur l’autorisation de partir, alors que c’est un droit. La transition professionnelle peut financer le coût pédagogique de la formation et le salaire du candidat pendant cette dernière. 

Comment financer sa nouvelle vie professionnelle ?

Il y a énormément de structures qui peuvent venir en aide aux candidates et aux candidats. L’Apec pour les cadres, Pôle emploi pour les salariés non-cadres, Cap Emploi pour les personnes en situation de handicap ou la mission locale pour les jeunes. 

*Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes

Elles ont sauté le pas : deux femmes, deux parcours

« Je n’étais pas à ma place »

Qu’est-ce qui relie l’un des plus gros laboratoires pharmaceutiques d’Europe à un club de skateboard de la côte Atlantique ? Le fil de la vie d’Astrid Butet. À 32 ans, elle est en train de boucler un diplôme d’éducatrice sportive et de devenir professeure de longboard dancing. Comment l’ingénieure en biotechnologie en est-elle arrivée là ? On rembobine.

« Je me suis rendu compte que je n’étais pas à ma place. Je n’étais qu’un numéro parmi les dix mille personnes qui travaillent dans l’usine pharmaceutique. Ce n’était pas un univers qui me faisait du bien. » Astrid Butet avait coché toutes les cases. Après son diplôme d’ingénieure en biotechnologie, elle est partie aux États-Unis, puis en Belgique, dans l’un des cœurs européens de l’industrie pharmaceutique. « J’ai malheureusement mis pas mal de temps à décider de changer de vie. En fait, c’est mon corps qui a décidé qu’il fallait que ça s’arrête. Dans ma tête, j’avais déjà compris que je n’étais pas à ma place. Mais j’avais encore trop peur pour prendre la décision. » 

Astrid est en burn-out. Pendant son arrêt maladie, c’est le déclic. « On se dit : « Soit j’y retourne, soit je profite de ce moment pour prendre du recul et changer ». J’ai décidé de changer. J’étais prête. Mais dans quoi ? Rien n’était évident. » Elle tombe sur une annonce. Une offre d’emploi : on cherche une bergère pour une ferme urbaine qui se crée à Bruxelles. « Je n’avais rien à perdre. J’ai eu le poste, et j’ai découvert un monde où je voyais le résultat concret de ma journée de travail. Le matin, c’était la traite des brebis ; le soir, on moulait le fromage, et le lendemain, pouvait les saler. Je travaillais à nouveau dans la biotech, avec des bactéries et des levures. Mais ça n’avait rien à voir avec l’industrie. » Elle s’épanouit. 

« Quand je sors de mes cours avec mes élèves, j’ai le sourire »

« J’ai toujours été créative et j’ai dû mettre ça de côté pendant des années. Dans l’industrie pharmaceutique, tout est très cadré, très protocolaire. On met des années à arriver à un résultat. Ce manque de créativité, c’est ce qui m’a épuisé. » Pour autant, cette incursion dans le monde agricole ne va pas durer. Après un passage dans le Jura, au sein d’une exploitation flambant neuve où tout est à créer, elle clôt le chapitre. La situation de saisonnière agricole n’est pas pérenne et les salaires sont loin d’être mirobolants. « J’avais commencé le longboard dancing en 2016. Ça m’a servi de bouée de sauvetage pendant mon burn-out. Le sport, c’est ce qui me restait pour décompresser. » Des cours dispensés pendant son travail à la ferme en Belgique servent de tremplin. « C’est là que j’ai réalisé que j’étais passionnée par ce sport. Et j’ai adoré l’aspect pédagogique du métier de professeur. » Puis le Covid passe par là. Elle décide de rejoindre son compagnon installé en Bretagne. 

« En juin 2021, je suis partie dans cette idée de me former et de retourner à l’école pour passer mon diplôme d’éducatrice sportive. » Aujourd’hui, elle travaille en alternance dans un club de skateboard de Vannes et montera sa micro-entreprise au mois de juin. « Ça se passe très bien, je sais pourquoi je travaille en ce moment. Ce n’est pas évident, il faut que je crée mon entreprise, son identité visuelle, que je recherche des partenaires… Mais c’est la passion qui me porte. Quand je sors de mes cours avec mes élèves, j’ai le sourire. » Évidemment, passer du salaire d’ingénieure à celui de saisonnière puis de stagiaire, ce n’est pas simple. « Ce n’est pas ça qui me porte, c’est autre chose : trouver du sens à mon activité professionnelle. J’ai besoin que cela me parle, de créer les choses avec le cœur. Après, les finances suivront ».

« J’avais envie de créer quelque chose »

Elle en avait assez de la routine. Formée en arts appliqués, passée par les mers du globe et l’épicerie du coin, Héloïse Chaigne est devenue l’une des rares métallières de France. Rencontre. 

« Avoir un travail stimulant et enrichissant, ce n’est pas donné à tout le monde. Moi, j’étais dans quelque chose de l’ordre de la routine, avec la sensation de voir le temps qui passe et de ne rien accomplir. » Héloïse Chaigne, 33 ans, termine tout juste sa formation de métallière au sein de l’AFPA de Saint-Nazaire. Auparavant, après des études en arts appliqués et un diplôme de paysagiste, elle s’était élancée sur les mers lors de la première campagne de l’Hermione, avant de devenir mécanicienne vélo puis employée dans une épicerie. 

« Je rentrais et je me demandais ce que j’avais fait de ma journée. C’était répétitif et pas très valorisé. Pourtant, au moment du Covid, quand on était les seuls ouverts, le seul moyen de voir les gens, c’était un truc un peu essentiel, l’épicerie. Mais j’avais envie de créer quelque chose. » Elle a besoin de sens. « Je voulais fabriquer des choses avec mes mains, mettre les mains dans le cambouis, au propre comme au figuré. » Finalement, c’est le coup de foudre pour le métier de métallière. « C’est en effet un peu une rencontre. Ce métier concentre plein d’aspects différents : le dessin, la création, le travail manuel, la technique. Des choses que j’aime et que je ne pensais pas parvenir à connecter ». 

« Je suis un peu inquiète, mais j’ai envie d’avancer » 

Après huit mois de formation à Saint-Nazaire et trois semaines de stage, elle décroche sa qualification et, au passage, un trophée décerné par l’AFPA qui organise un concours pour les femmes qui se lancent dans les métiers essentiellement masculins. « J’étais la seule fille en formation. Je me suis retrouvée dans un environnement uniquement de mecs avec qui je m’entendais bien, mais qui étaient très différents de moi. Je me suis aussi retrouvée face à un sexisme ordinaire quand il s’agissait de porter des choses un peu lourdes ou d’utiliser un outil dangereux. Je pense que mon métier est encore sexiste. Je suis un peu inquiète, mais j’ai envie d’avancer. » 

Aujourd’hui, elle veut continuer d’apprendre. « Il faut cinq ans pour faire un bon métallier », sourit-elle. Elle n’a pas signé de contrat, mais a pas mal d’envies. « J’ai plusieurs pistes, dont une entreprise de vélos sur-mesure. Mais il y a un autre truc qui m’intéresse pas mal : les machines de spectacle, comme celles conçues par la compagnie La Machine, à Nantes. » De quoi continuer encore à rêver.