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Cinéma : La carrière de Carmen Maura

Invitée d’honneur du festival du film espagnol de Nantes, Carmen Maura s’est confiée à Jean-Jacques Lester sur France Bleu Loire Océan. Almodóvar, Serrault, Luchini, elle revient sans langue de bois sur les moments marquants de sa prolifique carrière.

On va revenir loin, très loin en arrière. 1970, c’est votre premier long-métrage : Las gatas tienen frío de Carlos Serrano. Quels souvenirs en avez-vous gardé ?

Dans ce film, je n’avais qu’une phrase. C’était dans une fête. Je me souviens avoir pensé à l’époque que dire une phrase dans un film était plus difficile que d’en être la protagoniste principale. Tout le monde attend ta phrase, tout le monde pense que tu vas te tromper. La caméra est en marche, les premiers rôles disent des choses très importantes et c’est ton tour, tu dois dire ta phrase et si tu la dis mal, c’est foutu. Le petit rôle au cinéma, c’est le plus dur de tous. C’est pour ça que je défends beaucoup les gens qui viennent pour faire des petits rôles, j’ai toujours essayé de les chouchouter. Quand on a un premier rôle, c’est beaucoup plus facile parce que l’on a tout le film pour avoir des opportunités.

Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que vous êtes la plus française des actrices espagnoles ?

Tu crois ? Non ! Il y a Victoria Abril qui est mariée avec un Français qui a des enfants français. Non, non, non, un peu de respect pour elle ! C’est une fille qui a beaucoup d’énergie et qui est très intelligente. On se connaît bien et je la respecte. Elle a une carrière importante, elle a fait des très beaux films.

Mais vous, vous avez eu le bonheur de jouer avec Michel Serrault, tout de même… Il pouvait être un peu surprenant, un peu fou sur un tournage…

Oui, j’ai joué avec lui dans Le bonheur est dans le pré. Ce que j’ai ressenti, et tout le monde le savait, même Sabine Azéma ou Eddy Mitchell, c’est qu’il ne m’aimait pas beaucoup. C’était un peu difficile. Mais j’ai adoré faire ce film, c’était mon premier grand succès en France, avec des files d’attente au cinéma ! Ça a été une vraie aventure, j’ai adoré travailler avec Étienne Chatiliez qui est très sympa. Avec les deux filles qui jouaient mes filles dans le film, j’ai passé des moments formidables.

Autre moment fort de votre carrière, le film ¡Ay, Carmela! de Carlos Saura sorti en 1990, dans lequel vous tenez le premier rôle.

J’avais un peu peur de travailler avec ce réalisateur. Mais ça a été génial, je me suis retrouvée dans un univers que je ne connaissais pas, avec des décors immenses, des maisons détruites, des soldats, au milieu de la guerre civile espagnole. Le réalisateur nous a laissés très libres. Le premier jour, il m’a dit : « Carmen, tu es une comédienne que je n’aurais jamais choisie, mais tu es parfaite pour ce film parce que tu communiques très bien avec les spectateurs. » Et là, je l’ai adoré. Ce mec, il disait la vérité ! On a été très heureux sur ce tournage.

On va revenir en France avec un autre acteur qui a du bagout. C’est Fabrice Luchini. Vous l’avez rencontré dans Les femmes du 6e étage.

Avec lui, je me suis beaucoup amusée. Il aimait me piquer pour que je défende l’Espagne. Il le faisait exprès pour me réveiller. Ça a été une rencontre très intéressante. Surtout, il parle tellement bien français… Et les gens l’adorent. Je suis allé le voir un jour sur scène, je crois qu’il était 14 heures. Le théâtre était plein. Il y avait des gens de toutes les classes sociales et de tous les âges. Il était seul avec un siège sur scène, et c’était l’enthousiasme. Assister à cette rencontre entre ce public, venu à cette heure-là, et lui, seul sur scène à lire des textes, je peux dire que j’ai éprouvé une admiration totale.

Les femmes du 6e étage a aussi été joli succès !

Le réalisateur, Philippe Le Guay a lutté pour faire le film pendant des années. Il venait en Espagne pour voir des Espagnols… À la fin, on a fait le film parce qu’il y avait Luchini. Luchini, il a cette force, on peut faire un film sur son nom.

Plusieurs années après Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, son premier film, vous êtes revenue dans le monde de Pedro Almodóvar avec Volver, qui veut d’ailleurs dire « revenir » en espagnol. Pourquoi ce choix ?

Parce qu’il m’a appelée et que le rôle était bon. Je crois qu’il m’a sollicitée parce que le rôle était difficile et qu’il fallait apporter de la crédibilité au personnage : j’étais un fantôme. Pedro a toujours cru en moi. Il m’a proposé Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? alors que j’étais une présentatrice très populaire à la télé, et que tout le monde lui disait que je ne pouvais pas jouer une femme de ménage après la télé. Lui répondait : « Carmen est capable de faire n’importe quoi ». C’est aussi pour ça qu’il m’a appelée pour La loi du désir, par exemple. Il avait une confiance énorme.

Et comment se sont passées vos retrouvailles sur Volver ?

Pendant vingt ans, on ne s’est pas vu, on n’a même pas pris un café, rien. Mais à la première répétition pour Volver, nous avions toujours cette même relation metteur en scène et comédienne. Je savais parfaitement ce qu’il voulait. J’ai été capable de le faire.