Amélie Nothomb. « La vraie jeunesse, c’est la passion pour l’inutile »
Dans la vie, il y a peu de certitudes. Il y a le passage des saisons, la feuille d’impôts en septembre et la venue d’Amélie Nothomb à Nantes. L’auteure métronome vient à la libraire Coiffard chaque mois de janvier. Jean-Jacques Lester l’y a rencontrée pour France Bleu.
Vous donnez l’impression que vous venez en dédicace avec encore beaucoup plus de joie qu’avant !
Avant, la dédicace, c’était la fête. Maintenant, la dédicace pour moi, c’est le carnaval. Ça donne une impression de prohibition. Des êtres humains viennent me rencontrer moi qui suis comme tout le monde, en manque d’êtres humains, en manque de contacts avec les autres.
Pour beaucoup de vos lecteurs, c’est chaque année un rendez-vous incontournable…
Je viens à Nantes une fois par an depuis un peu plus de dix ans et chaque fois que je viens à Nantes, c’est un événement. Je vois ici mes meilleurs lecteurs. Je ne dis pas ça par démagogie, je pense que la librairie Coiffard est la meilleure librairie de l’univers.
C’est vrai qu’elle a du caractère, cette librairie.
Elle est admirable. C’est le seul lieu au monde où, comme dans les saloons, j’ai mon verre ! J’ai ma flûte et presque ma bouteille. C’était mon rêve. Vous savez, quand j’étais petite, je lisais Lucky Luke et il y avait des cow-boys ou des bandits qui arrivaient dans les saloons et qui avaient leur bouteille et leur verre. Moi, j’ai réussi ce coup-là seulement chez Coiffard et je trouve ça super classe !
Vous avez un rituel, en dédicace ? Mis à part ce champagne et ce chapeau qui vous va comme un gant ?
Non, pour le reste, je n’ai aucun modus operandi. La librairie Coiffard a un caviste juste exceptionnel. Pourtant, je prétends avoir une certaine culture en matière de champagne. Chaque fois que je viens à la librairie Coiffard, je mesure mon ignorance.
Comment vous est venue cette passion du champagne ?
Ça a été mon plus ancien coup de foudre. Je n’avais pas trois ans. J’étais une enfant d’ambassade puisque mon père était un diplomate belge. Mon père recevait toujours avec du champagne Laurent Perrier. Je n’étais pas admise au cocktail mais je n’étais pas repoussée non plus. Je passais à quatre pattes et j’avais bien remarqué que les adultes buvaient une limonade intéressante. J’attrapais les demi-verres qui traînaient par en dessous la table. Je me souviendrais toujours de ma première gorgée de champagne. J’ai pensé : « Voilà ma boisson ». C’est un amour qui ne s’est absolument jamais démenti.
Un médicament qui est bon pour tout à en croire les vieilles affiches de réclame…
Je ne suis pas tombée sur ces affiches mais je suis absolument d’accord : quand le champagne est bon, il n’y a pas de meilleur « médicament ». J’ajouterais que, au cœur de la période tellement dure que nous vivons, vraiment, on est tous un petit peu déprimé. Rien de tel que quelques petites flûtes d’un très bon champagne pour se remonter le moral sans aucun effet pour sa santé. C’est très bon pour la santé et c’est rempli d’oligo-éléments, ça ne peut faire que du bien*.
« Quand on n’a pas de vie, il y a encore les livres »
Venons-en à votre dernier livre, Les Aérostats, qui vous a fait venir à Nantes. Un ouvrage sublime et puissant sur le pouvoir de la littérature …
Quand j’ai écrit ce livre, on ne parlait pas encore de confinement. Je ne savais pas ce qu’était le coronavirus mais je trouve que ce livre est redoutablement d’actualité. J’ai passé mon premier confinement à lire. Heureusement que j’aime tellement lire, que j’aime tellement la grande littérature, parce que c’est une mine d’or absolument intarissable. Quand on n’a pas de vie, il y a encore les livres. Et les livres, ce n’est pas une vie au rabais, c’est une vie forte. J’entends des gens qui disent : « Moi, pendant le confinement, je ne parviens pas à lire ». J’ai envie de leur dire : « Mais essayez et essayez encore ! ». Même si c’est horrible, ce confinement – je suis comme tout le monde, je déteste ça – c’est quand même une formidable occasion de s’immerger dans la lecture des grands livres.
Justement, dans ce livre, vous évoquez quelques classiques. L’Iliade et l’Odyssée, Le Rouge et le Noir, par exemple… Même ceux qui ne les ont pas lus peuvent être captivés par le récit.
Je suis très fière de ce que vous dites. Mais je suis encore plus fière d’un phénomène que j’ai constaté : mes lecteurs, et en particulier mes jeunes lecteurs, sont très attirés par les livres dont je parle et qui s’y mettent. Il y a comme ça des jeunes qui ont découvert Kafka, Stendhal, Homère… Ils en ont ramené des opinions extrêmement intéressantes.
C’est vrai qu’il y a des débats sur le thème « Ulysse est-il une crapule ? » sur les forums ?
Oui et j’adore ça, ils ont raison, ce sont de vraies questions ! Il ne faut pas forcément se poser des questions philologiques à propos des livres. Bien sûr que c’est une vraie question de savoir si Ulysse est une crapule et vous savez quoi ? Moi je pense que oui ! (rires)
« La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir ». Cette phrase sublime est en exergue dans votre livre. Pour les étudiants qui sont aujourd’hui dans une situation complexe, cela doit faire du bien de la lire…
Là, pour le coup, c’est autobiographique. Le personnage central du livre, une jeune femme de 19 ans, c’est moi quand j’avais cet âge. À 19 ans, j’étais dépourvue de jeunesse à un point extraordinaire. Et aujourd’hui, malgré ma vieille peau, je vous assure que je suis quand même plus jeune que je ne l’étais à 19 ans. Je suis en train de lire un magnifique livre de Giono qui s’appelle Que ma joie demeure et dans ce livre, il écrit : « La jeunesse, c’est la passion pour l’inutile ». J’adore ça. À 19 ans, je me disais : « Tu dois devenir quelqu’un, donc tu dois lire des trucs utiles ». Mais c’est odieux. La vraie jeunesse, c’est ça, c’est la passion pour l’inutile, donner toute sa vie à quelque chose qui peut-être ne sert à rien.
* L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.