Chroniques

Une minute plus tard, j’avais un bébé.

Cinq jours après la fin du confinement, l’après-midi, chez moi, je me suis brusquement aperçue que j’avais des contractions. La journée avait été très remplie, il y avait des dizaines de choses à régler qui n’avaient pas pu l’être avant, et je m’agitais depuis le matin, passant complètement à côté de l’information la plus importante. J’ai commencé à y prêter attention, sans être complètement sûre de ce que je sentais : j’avais déjà accouché, mais une fois seulement. Et mon premier enfant était né en siège, alors que celui-ci avait la tête en bas – rien ne disait que les sensations seraient les mêmes.

Dans le doute, j’ai commencé à chronométrer ce qui se passait. Au bout d’une heure, les chiffres étaient à peu près sans appel : les contractions étaient régulières, et raisonnablement rapprochées. J’avais deux semaines d’avance sur mon terme, mais il semblait bien que le bébé allait arriver. 

Je dois avouer qu’un des grands plaisirs des dernières semaines de cette seconde grossesse avait consisté à faire croire à mon mec que l’accouchement était imminent, pour le voir pâlir avant de se mettre à préparer frénétiquement un sac. C’est sûrement plus compliqué, d’une certaine façon, d’assister à un accouchement que d’y tenir un des rôles principaux. Je ne me sentais pas inquiète, mais j’étais un peu fatiguée, et l’idée de devoir mettre un bébé au monde dans les heures suivantes m’épuisait d’avance, même si j’avais hâte de le voir. La première fois, j’étais partie à la maternité comme une idiote bienheureuse, je croyais encore que ça n’était pas si compliqué. En salle d’observation, j’avais demandé à la sage-femme si la douleur allait augmenter – elle m’avait répondu avec beaucoup de tact : pour le moment, vous arrivez encore à parler. Cette fois-ci, je voyais à peu près ce qui m’attendait. Je savais aussi que j’avais un peu de temps, alors j’ai prévenu mon mec, qui était très content, et je me suis mise à préparer le dîner. On se jetait des coups d’œil pleins de tendresse par-dessus la planche à découper.

Après le dessert, on est allé faire une immense promenade avec notre petit garçon, on a longé la Loire au soleil couchant et vu tous les gens sortis boire des coups sur les pelouses pour fêter la fin du confinement. On est rentré, on a couché le petit, et puis à minuit j’ai eu une contraction qui m’a donné vraiment envie d’avoir un anesthésiste compétent à portée de main, alors on a réveillé le petit, on l’a déposé chez sa nourrice, et on a filé à la maternité.

Une fois à l’hôpital

La sage-femme qui nous accueillis était très gentille, mais je ne pense pas qu’elle avait déjà accouché elle-même, si bien qu’elle a passé beaucoup de temps à me répéter que je me trompais peut-être, que peut-être je n’étais pas en train d’accoucher, ce qui était finalement assez drôle. Quand le monitoring l’a enfin convaincue, elle nous a guidés jusqu’à la chambre de naissance, où nous a aussitôt rejoint l’anesthésiste. Je trouvais ça un peu tôt, pour la péridurale, mais je savais aussi que je ne devais pas laisser filer ma chance. Pour mon premier enfant, on m’avait posé la péridurale si tard que je n’avais pas senti la manipulation, mais cette fois-ci, j’avais les idées nettes, et je tremblais littéralement de peur – pour rien, puisque finalement, pour une raison obscure, je n’ai encore une fois rien senti.

Alors ont commencé deux heures absolument merveilleuses, durant lesquelles mon mec dormait et moi j’étais complètement shootée dans mon lit. Incorrigible optimiste, j’ai recommencé à m’imaginer accoucher sans aucune peine. Et puis, soudain, j’ai entendu un gros splash, et j’ai perdu les eaux. Sur l’échelle de la douleur, je suis passée d’un coup de 1 à 535 environ. Je me suis redressée pour appuyer frénétiquement sur le déclencheur de la péridurale. La douleur était colossale, comme la grande vague d’un tsunami, elle était effrayante, moyenâgeuse, mais elle était aussi étrangement familière, et quand je suis parvenue à reprendre mes esprits, je me suis souvenue que la seule autre fois de ma vie que j’avais eu aussi mal, c’était parce que mon bébé était presque là. Alors j’ai rappelé la sage-femme, qui semblait toujours aussi dubitative quant à mon actualité obstétricale, elle s’est installée, j’ai respiré un grand coup, et une minute plus tard, j’avais un bébé. 

Et depuis quelle aventure.