La chronique littéraire de Julia Kerninon : « Cet été, j’ai fait une dépression »
Cet été, j’ai fait une dépression. Ou pour le dire de manière plus adéquate, j’ai traversé un épisode dépressif. Pendant deux ou trois mois, j’ai été au fond du trou. Prostrée. Profondément malheureuse. Dépourvue d’énergie. Suicidaire en pensée sinon en actes.
Au début, je n’ai pas compris exactement à quoi c’était dû. Ça ressemblait un peu à la fragilité et la fatigue qui précèdent mes règles, alors j’ai pensé à un syndrome prémenstruel dysphorique, éventuellement accentué par la seconde dose du Pfizer, puisque même le New York Times se faisait l’écho de plaintes de femmes dans ce sens. J’ai pensé que j’étais fatiguée. J’ai pensé que je venais de me marier, et qu’il y avait sans doute une sorte de contrecoup, avec l’engagement et toute la tension de l’organisation d’une noce dans le contexte actuel.
« Tout le monde lessivé par une année et demie de pandémie »
Mais identifier ces hypothèses n’a rien changé, j’ai continué à me sentir de plus en plus mal. J’étais en vacances dans une maison merveilleuse donnant sur la mer en Normandie, avec toute une bande de mes meilleurs amis, et je pleurais tous les matins sous la douche avant de descendre les retrouver l’air de rien pour le petit déjeuner. Pour tout dire, mes amis ne semblaient pas très en forme non plus, tout le monde lessivé par une année et demie de pandémie. Nous admettions avoir moins de bonnes histoires à raconter que d’habitude, être devenus plus timides aussi, à force de ne voir personne, avoir pris de mauvaises habitudes dont nous avions du mal à nous défaire à présent. Alors j’ai pensé que ma tristesse était commune, contextuelle, banale, j’ai essayé de l’oublier, de la détacher de moi, de la considérer simplement comme une sorte de saison.
Mais je continuais de pleurer et pleurer, de sentir mon cœur lourd comme une pierre. J’essayais de me faire du bien, de me comporter sagement, de penser à des choses que j’aimais, mais le Giec avait encore sorti un nouveau rapport et je ne trouvais rien autour de moi pour me rassurer, pour m’aider à relever la tête. Je ne savais pas pourquoi j’étais aussi abattue, mais si je cherchais des explications, j’en trouvais partout plus que nécessaire.
« Je ne voulais plus m’occuper de mes enfants »
C’est difficile de décrire exactement la dépression, mais la meilleure définition à mon avis est celle qui s’attache au manque total d’énergie vitale. Ce n’est pas tant une question de malheur que de mort intérieure. Après la Normandie, je suis partie en Bretagne, où l’après-midi parfois je ne parvenais pas à faire autre chose que rester allongée dans un lit au dernier étage de la maison de mes beaux-parents. Je ne voulais plus m’occuper de mes enfants. Je voulais m’enfermer seule quelque part et me laisser mourir. J’ai fini par téléphoner à des copains pour leur parler de mon état. J’avais honte d’appeler à l’aide, je pensais qu’ils me diraient d’arrêter de me regarder le nombril et d’aller pêcher des crevettes pour me changer les idées. Mais au lieu de ça ils m’ont dit : Bien sûr que tu es abattue. Le contraire serait étonnant. Tu as eu un deuxième enfant, tu ne dors pas assez, tu t’es mariée, et puis tu écris ce livre, non ?
« Mon bonheur est revenu »
J’avais presque oublié mon livre. Depuis un an, j’écrivais un texte autobiographie autour de mon rapport aux enfants, à l’amour, à l’enfance. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre que pour tenir le bon ton, j’avais cherché à me situer à un endroit particulier de mon esprit, et que ce que j’avais vu jusque-là simplement comme un processus littéraire m’avait placée dans une situation de totale vulnérabilité. C’était peut-être ça, aussi. Quand je suis rentrée de vacances, j’ai fini le livre en une semaine éblouissante, un livre que je n’aurais jamais pensé faire, que je ne croyais pas porter en moi.
Et alors, doucement mais sûrement, j’ai commencé à aller mieux. Comme la lumière perçant à travers un orage, mon bonheur est revenu. J’ai recommencé à aimer presque tout – à sourire toute seule en écoutant certains morceaux de musique, à me réjouir de ce que j’allais manger, à rire, à regarder autour de moi.
Bien sûr, le basculement n’est pas uniquement dû au fait d’avoir fini ce livre. Si je raconte cette histoire ici, c’est pour partager ma surprise quant à la façon dont nous sommes successivement traversés par des émotions, ou même habités par elles, et combien la coloration qu’elles donnent à notre vie change tout. Dans les faits, ma vie n’a pas vraiment changé depuis juillet – une émotion est simplement venue et repartie, après m’avoir appris ce qu’elle avait à m’apprendre.