Chroniques

La chronique littéraire

Je dois avouer que ça m’a toujours paru une des phrases les plus excitantes à prononcer au monde : Je vais me marier. En fait, ça avait pour moi un véritable frisson de désobéissance – probablement parce que mes parents se méfiaient du mariage. Ils pensaient que c’était un enfermement et que c’était précisément le fait de ne pas s’être engagés à être ensemble qui les engageait. C’est une position qui se défend, mais, sans surprise, le mariage nous est donc toujours apparu, à ma sœur et à moi, comme une chose non seulement désirable mais presque iconoclaste. Pour nous, c’était le contraire d’une institution – c’était une provocation, et quand nous étions jeunes, bien sûr, ça ne le rendait qu’encore plus attirant. 

Le mariage est aussi un merveilleux sujet dont débattre entre filles aux terrasses des cafés – j’ai des souvenirs épiques de discussions impromptues sur le grand mariage, le petit mariage, la robe blanche et la robe rouge, le code couleur des invités, les discours, le menu, le lieu, la décoration. Décrire les mariages auxquels on a assisté est une source de plaisir intense, et leur variété offre d’infinis sujets de réflexion. Le sérieux avec lequel on en parle, les suggestions mignonnes – et imagine, il y aurait trente agneaux avec des nœuds en satin rose pâle ! – le choix de la musique, l’entrée de bal, la choré, le retour de noces, la soupe à l’oignon. C’est un monde entier qui était absolument absent de mon éducation, que j’ai découvert beaucoup plus tard, et dont la cohérence m’a passionnée. « Coutumes ! Nous n’avons pas assez de coutumes. », écrit Rainer Maria Rilke dans un de mes poèmes préférés, qui me fait toujours penser au mariage. Toutes ces merveilleuses traditions – l’interdiction de voir la robe de la mariée avant le jour J, mettre une pièce dans sa chaussure, briser de la vaisselle pour éloigner les fantômes, avoir sur soi un objet neuf, un objet ancien, un objet emprunté et un objet bleu – ça aussi, c’est un poème. Et quand les gens se mettent tous à chanter ensemble, à l’église ou au banquet, peu importe, je trouve que c’est difficile de ne pas être bouleversé – ce mouvement de foule, cette cohésion familiale, au moins une journée ou une soirée. C’est quand même très impressionnant, à mes yeux de néophyte. Je me sens comme une voyageuse vagabonde qui ne se lasse pas de se faire raconter l’histoire ancienne d’un pays étranger. Et j’adore écouter les gens pour qui le mariage est une évidence m’exposer leurs convictions et leurs goûts mûrement réfléchis, la façon dont ils ont conçu cette journée particulière, ce qui était important pour eux, et pourquoi. Comme toutes les histoires que nous nous racontons, celles-ci sont révélatrices de ce que nous sommes et de ce en quoi nous croyons.

(Bon, d’accord, il y a les choses bizarres aussi : dans une émission télévisée bien connue consacrée au mariage, les participants sont jugés principalement en fonction du respect du thème, ce qui me stupéfie, même si je suppose qu’il faut bien établir des critères de notation – mais ce qui me surprend encore plus, c’est le nombre de gens qui ne semblent pas apercevoir l’ironie qu’il y a à préparer un mariage « sur le thème de l’amour ».)

Je vais me marier. Je vais me marier. Quand je la murmure dans ma tête, je vois instantanément Sailor et Lula fonçant en voiture comme en lune de miel, Julia Roberts s’enfuyant à cheval avec sa robe en dentelle, John Lennon et Yoko Ono tout en blanc à Gibraltar en 1969, et, bien sûr, l’essayage fascinant d’Andie McDowell devant Hugh Grant avant son mariage avec le vieil écossais. L’idée de mariage convoque comme par magie tout un kaléidoscope d’images, l’inépuisable légende du mariage, à laquelle mes parents me semblent parfois les seuls à avoir échappé. Mais parlons sérieusement. Le plus important tient sans doute à ceci : en allemand, en anglais, il existe deux mots différents pour traduire notre unique mot de mariage. L’un désigne la fête, la cérémonie (« wedding » ou « Hochzeit »), tandis qu’un autre (« marriage » ou « Ehe ») définit ce qui suit cette célébration : toutes les années passées ensemble à tâcher de faire honneur à l’engagement pris devant témoins, l’aventure du mariage sur le long terme, la vie commune, la réalisation des promesses. Et dans le monde instable dans lequel nous vivons et devrons continuer de vivre jusqu’à nouvel ordre, je ne peux m’empêcher de continuer de trouver cela extrêmement audacieux, provocateur, révolutionnaire, que de s’engager à s’aimer, à se rester loyal, et à se soutenir dans le bonheur comme dans les épreuves.