Lecture

La chronique littéraire

Il y a un peu moins de dix ans paraissait un livre intitulé « Faut-il manger les animaux ? ». Son auteur n’était pas n’importe qui : âgé à l’époque d’une petite trentaine d’années, Jonathan Safran Foer était considéré comme un des romanciers américains les plus doués de sa génération. 

Ce livre n’est pourtant pas un roman : c’est plutôt un essai dans lequel Safran Foer raconte comment, dans l’attente de la naissance de son premier enfant, il a commencé à se demander comment il le nourrirait. Petit-fils de rescapés de l’Holocauste, la nourriture tient une importante place symbolique dans la vie de sa famille – Américain, la nourriture est également partout autour de lui en abondance. Ses interrogations l’ont conduit à réfléchir, lire, puis finalement enquêter sur ce dont il se nourrit – il s’est ainsi retrouvé à infiltrer clandestinement des élevages intensifs pour comprendre ce qui s’y passe, et le résultat est ce plaidoyer subtil, honnête, intelligent, en faveur du végétarianisme.

Cette année, Jonathan Safran Foer publie un nouvel essai, cette fois intitulé « L’Avenir de la planète commence dans notre assiette ». Je ne sais pas à quel point vous êtes familier avec les notions d’effondrement, d’épuisement des ressources, de décroissance, ou, plus crûment, avec les chiffres concernant le réchauffement climatique et ses conséquences à court et moyen terme. Personnellement, parce que je partage ma vie avec un homme que sa récente paternité a poussé à regarder les choses en face et à se documenter, je vis désormais dans un appartement contenant une réserve d’eau potable et de nourriture, et des sacs à dos d’évacuation destinés à s’enfuir au plus vite en cas de « choc ». J’ai dé-tes-té tout ça quand ça a commencé, je l’ai détesté lui quand il s’est mis à me parler de ces trucs profondément choquants, qui impliquait la fin du monde tel que je l’avais toujours connu, l’abandon de ma vision de l’avenir, et une peur viscérale pour mon enfant.

Mais comme l’écrit limpidement Safran Foer, ce qui menace nos enfants en ce moment, c’est nous. C’est notre incapacité à croire à ce qui se rapproche de plus en plus vite, et donc à changer nos modes de vie. Or, contrairement à ce que nous imaginons, les quatre actions les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique sont : adopter un régime végan ; ne plus prendre l’avion ; vivre sans voiture ; avoir moins d’enfants. 

Quoi qu’il arrive, nous allons devoir apprendre à vivre dans un monde plus difficile dans les années qui viennent – mais nous pouvons, individuellement et collectivement, atténuer le choc, et cela commence, je crois, par prendre ces quatre points au sérieux. S’attacher à les respecter, sans perdre de temps à argumenter. Le réchauffement climatique actuel est dû aux actions humaines – c’est un fait. Nous ne pouvons plus vivre comme avant, ni fermer les yeux. Il faut simplifier nos vies. 

Là où Safran Foer est bon, c’est qu’il n’aborde pas ces questions en spécialiste, mais en citoyen doué simplement d’une meilleure capacité à raconter que la normale. Son nouveau livre repose sur un constat simple : nous pouvons facilement agir sur ce que nous mangeons. Il suggère de ne consommer aucun produit d’origine animale avant le dîner – parce qu’il a été prouvé qu’un tel régime était plus écologique qu’un régime 100% végétarien.

Je n’ai pas encore entrepris de suivre ce conseil – mais je me suis surprise à chercher des alternatives à la crème fraîche. La chair animale a été assez facile à diminuer : mon curry au poulet est désormais aux lentilles, mes lasagnes sont définitivement végétariennes, et j’ai fini par admettre que je préfère un burger aux graines – principalement parce que le digérer ne me prend pas toute mon énergie de l’après-midi. Je ne suis ni végane ni végétarienne, mais disons que je bosse le sujet, et que ça ne me coûte pas beaucoup, en fait. Ça ne me coûte pas non plus beaucoup de conduire peu, mais c’est parce que je travaille de la maison et que j’habite en centre-ville. En revanche, depuis un an, on a décidé de ne plus prendre l’avion, même pour le travail – c’est un peu plus compliqué, mais ça aussi, ça se fait. Pour moi, le plus dur, ce sont les enfants, je crois – mais chacun son truc, j’imagine.

Moins de produits d’origine animale – moins de trajets en avion – moins de trajets en voiture – moins d’enfants. 

Ce n’est pas facile ? Personne n’a dit que ce serait facile. 

Mais nous n’avons plus le choix. ♦