La Mare aux Oiseaux a 25 ans
Avoir de nouveau vingt-cinq ans. C’est un peu l’état d’esprit d’Éric Guérin. Le chef étoilé, infatigable raconteur de la Brière et de ses acteurs, s’est donné les moyens d’écrire une nouvelle page de l’histoire de La Mare aux Oiseaux. Nouvelle équipe, cuisine flambant neuve et nouvelles ambitions : raconter toujours mieux sa région au travers de ses plats et décrocher une deuxième étoile Michelin. Rencontre.
Pour vous, les vingt-cinq ans de La Mare aux Oiseau, c’est un moment charnière ?
À vingt-cinq ans, j’ai tout plaqué pour la Brière. C’est un choix qui a changé ma vie. Je me suis juré qu’à cinquante ans, je remettrais cette décision en question et que je referais le choix. Je réfléchis depuis trois ans. J’ai vraiment été tenté d’arrêter ce métier et de partir à l’étranger pour me concentrer sur une activité plus artistique.
Qu’est-ce qui a fait pencher la balance ?
Ces deux dernières années, j’ai réuni une équipe en salle, en cuisine, et elle est géniale. Il y a un réel bien-être au travail, une harmonie qui fait que tout le monde est là pour travailler pour La Mare aux Oiseaux et pas pour un chef. Il n’y a pas de clivage entre la salle, la cuisine et la réception. C’est cette équipe qui m’a redonné envie. J’ai envie que cette maison reste jeune, reste fraîche et continue de faire rêver les jeunes.
Pour vous, ces notions de transmission et de bien-être au travail sont fondamentales ?
Quand on arrive dans le métier de la restauration, on recherche un idéal, mais il n’est pas facile à trouver, on est chahuté dans tous les sens. Ici, plus les gens qui travaillent dans la maison développent une expression personnelle, plus ça me plaît. Ça m’enrichit et ça enrichit la maison.
Vous allez recréer toute votre équipe, c’est un véritable pari…
Sur les quarante « piafs » qui vont rentrer, il y en a une quinzaine qui étaient là avant. Effectivement, aujourd’hui, on prend le risque de recréer une équipe. Mais j’ai besoin d’être toujours sur le fil de l’évolution, de ne pas m’endormir. Ma peur, c’est que ma maison devienne une vieille maison et moi un vieux chef. Si les jeunes n’ont pas envie de venir en Brière, ça ne sert plus à rien ce que je fais. 80 % de ceux qui se sont présentés sont venus parce qu’ils ont entendu dire que la maison les traitait avec respect. Certains m’ont dit : « On vient chez vous ou pas du tout ». J’ai été énormément touché et c’est une grande victoire.
Pour vous, la salle et la réception sont aussi importantes que la cuisine…
Je pense que, depuis des années, on a trop mis le projecteur sur les chefs. Il n’y a pas un mec de la salle qui s’exprime. On a oublié la moitié de notre âme. Sans notre équipe de salle, on n’est rien . On est tous aussi importants les uns que les autres, on a tous un rôle à jouer. Si des gens viennent me voir, c’est justement parce que chez moi, le rôle de la salle n’est pas juste de porter des assiettes et de dire : « Le chef est magnifique ».
Votre maison est au cœur de la Brière, au cœur des marais. C’est fondamental pour vous de défendre ce territoire ?
C’est exactement ça. On défend un territoire, une région, une maison, à travers une histoire de vie dont on est tous acteurs. Par exemple, je n’ai jamais voulu faire de potager. J’ai une personne qui s’occupe de faire du « sourcing » à cinquante kilomètres autour de la maison. Il va deux fois par semaine à la rencontre des producteurs et tous les vendredis, il établit un listing des produits disponibles pour la semaine d’après. Ça fait marcher le tissu local, non seulement économique mais aussi humain, et ça m’a permis de me rapprocher de tous les petits producteurs.
Et forcément, ça influence votre cuisine ?
C’est vrai. C’est un jeu compliqué mais c’est ça qui m’excite. Je suis obligé de créer des plats avec des produits simples, de proximité et de les rendre « étoilés Michelin ». Je vais m’amuser avec des betteraves, leur donner une touche de noblesse. C’est ce que j’aime.
Cette relation de confiance qui s’est établie avec ceux qui sont parfois de tout petits producteurs est très importante pour vous…
En travaillant en direct avec ces personnes qui ont parfois des productions très modestes, je deviens un acteur économique mais aussi un soutien. La relation que j’ai avec mes producteurs est très importante. Pendant le confinement, j’ai eu plus de temps, j’ai cuisiné pour les SDF de Saint-Nazaire. Nous sommes passés les voir, ils ont rempli le camion de matières premières. La vérité de mon écriture de chef, aujourd’hui, elle est à travers de ces gens-là. C’est cet équilibre-là que j’ai envie de partager avec mes jeunes.
Ces vingt-cinq ans ont aussi été l’occasion pour vous de tourner la page de votre maison de Giverny (Eure), Le Jardin des Plumes. Vous avez passé la main à David Gallienne, le chef que vous y avez installé.
Giverny, c’était la pépinière de mes jeunes chefs. Elle me permettait de les placer là-bas pour les laisser faire. Je leur disais : « Je suis derrière, je vous protège et vous, éclatez-vous ». Cela faisait deux ans que je faisais huit cents bornes une fois par mois pour y passer deux jours. Et puis, le chef qui était en place depuis deux ans est arrivé au summum. Je n’ai plus besoin de lui dire quoi que ce soit. J’ai eu l’impression de me voir à vingt-cinq ans et je n’arrivais plus à suivre (sourire).
Mais vous l’avez épaulé une dernière fois avant de partir, non ?
Oui, je savais qu’il rentrait à « Top Chef » cette année. Je lui ai donné la possibilité de se concentrer pendant trois mois sur le tournage de l’émission pendant que nous, on tenait la maison. David a pu aller au bout des choses, il a d’ailleurs fait un parcours superbe. La transmission de Giverny restera dans mon histoire.
Des travaux…
Vous avez fait de très importants travaux à La Mare Aux Oiseaux, vous avez refait toute la cuisine du sol au plafond !
En vingt-cinq ans, la maison a beaucoup bougé, beaucoup grandi. Ce qu’on avait fait évoluer jusque-là, c’est que ce qui se voit. La cuisine était restée dans l’ombre dans la partie la plus ancienne de la maison. Elle date de 2004. Ce que j’aime me dire, c’est que je reste un chef aux fourneaux, pas un chef d’orchestre. La cuisine doit être le cœur de la maison. Pour mes cinquante ans, je me suis offert une cuisine moderne, un outillage moderne qui doit être prêt à imaginer la cuisine d’aujourd’hui et de demain.
Vous avez mis beaucoup de vous-même dans cette cuisine…
C’est vrai que j’ai voulu qu’elle respecte l’environnement : un plafond filtrant récupère les chaleurs et réchauffe la maison, par exemple. Et puis, l’ancienne cuisine ne me ressemblait pas assez. J’ai donc fabriqué une cuisine unique, jamais vue nulle part. On a l’impression d’être dans ma maison. Il y a des œuvres d’art, du végétal… Tout est étudié pour que ce soit un endroit où on a envie du passer du temps, un lieu de bien-être et pas un laboratoire où on se fait taper dessus.
et de nouvelles ambitions !
Quels sont les plats qui vont sortir de cette cuisine ?
Pour moi, la cuisine de demain sera orchestrée autour du service de la nature que l’on trouve autour de chez nous, des gens que l’on rencontre. On a envie d’écrire une histoire autour de la Loire, c’est pour cette raison que l’on se rapproche des derniers pêcheurs de Loire. J’ai toujours envie d’être plus proche de cet environnement. Les moments que nous avons vécus ces derniers mois nous prouvent qu’il faut être plus que jamais à l’écoute de tout ce qui se passe autour de nous.
Vous affichez également une ambition : décrocher une deuxième étoile Michelin.
La deuxième étoile, c’est un challenge pour l’entreprise. Mes plus anciens collaborateurs m’ont fait part de cette envie-là. Il ne faut pas non plus se rendre malade si on n’y arrive pas… Mais avec la maison qu’on vient de créer, c’est évidemment une envie ! ♦